Serge Tisseron s'entretient avec Julian Alvarez, professeur associé à l'ESPE de Lille et au laboratoire DeVISU, responsable Recherche au Play Research Lab de la Serre Numérique et concepteur de Serious Games.
Comment replacer l'humain au cœur des approches technologiques ? Julian Alvarez le fait en mariant la pédagogie active avec l'apprentissage de l'informatique. Il renoue par là avec toute une tradition de l’enseignement conçu de façon à ce que l’élève y prenne du plaisir. Après tout, le mot grec skole, qui a donné école, signifie en grec "loisir studieux". Et on pourrait évoquer aussi comme ancêtre du serious game le serio ludere du Quattrocento italien. Et si les techniques qui ont été inventées il y a des siècles pour une élite étaient en train d’être réactivées à moindre coût grâce aux technologies numériques ?
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Julian Alvarez : Partout où il y a du jeu - jeu de société, jeu de rôles, jeux hybrides entre le jeu de plateau et le jeu électronique, ou escape games - on peut venir greffer des fonctions utilitaires. On tombe alors dans le domaine du serious game dès que le marché visé s'échappe du seul divertissement. Le serious game ne date pas d'aujourd'hui mais on le redécouvre. Le jeu connaît des périodes cycliques : tantôt mis en avant, tantôt banni mais il perdure dans l'évolution, on le retrouve chez certains animaux comme chez l'homme. S'il a été conservé c'est qu'il a un usage et une utilité. On a beau essayé de le bannir par certains systèmes politiques, religieux ou technologiques, le jeu perdure.
Ce projet de recherche est parti d'une interrogation : est-il vrai qu'il ne faut pas exposer les enfants trop tôt aux écrans ? Si oui, et si on est persuadé que la médiation par le jeu vidéo, par les serious games, sont une approche intéressante pour faire de la ludo-pédagogie, alors on se retrouve face à un dilemme : introduit-on à la fois le remède et le poison avec ces outils ? Le remède parce que la médiation par le jeu va favoriser les apprentissages pour certains enfants mais en même temps, on retrouve la consommation écrans qui peut être maléfique pour d'autres parce qu'elle se rajoute à de la surconsommation écran à la maison. Comment faire alors pour introduire le serious game mais sans écran ?
Dans une expérience menée dans une classe avec le robot Blue-Bot, un enfant atteint de troubles autistiques s'est révélé au travers de l'utilisation du robot, il s'est senti dans une zone de confort qui lui a permis de prendre plaisir à suivre ce type d'apprentissage. La médiation par les robots ou par les tablettes peut ainsi être un atout pour certains profils d'enfants qui semble-t-il ont plus de facilité à gérer un artefact qui n'envoie pas un ensemble de codes émotionnels complexes que l'enfant doit décrypter et qui vont parasiter le message ou les apprentissages que l'on cherche à lui transmettre.
Il y a deux types de plaisir : le plaisir extrinsèque qui est suscité par le jeu et le plaisir intrinsèque qui est le plaisir d'avoir compris quelque chose. Toute la difficulté est de permettre à l'enfant de basculer du plaisir du jeu au plaisir d'avoir compris.