Service Games: The Rise and Fall of SEGA (Enhanced Edition) est un livre sur l'histoire de SEGA en tant que constructeur de consoles. Après une brève introduction sur la naissance de la société, cet épais ouvrage de 480 pages revient sur le destin de ses différents modèles de console de salon : le SG-1000, la Master System, la Mega Drive / Genesis et ses extensions Mega CD et 32X, la Saturn ainsi que la Dreamcast.
Si les débuts de SEGA ainsi que ses deux premières consoles sont abordés plutôt rapidement sur une trentaine de pages, l'essentiel du livre détaille par contre avec grande précision l'histoire des consoles les plus célèbres. Près de 150 pages sont dédiées à la montée en puissance de la Mega Drive, puis de sa chute avec le Mega CD et surtout les catastrophiques projets Mars, Neptune et Jupiter qui accoucheront du 32X. Les coûteuses erreurs de SEGA sur le 32X ne seront malheureusement pas compensées par la Saturn, à l'échec tragique et sans appel face au rouleau compresseur Playstation. Lorsque la société aura finalement fait le bilan de ses erreurs et posé de meilleures bases avec la Dreamcast, il est malheureusement déjà trop tard. Quand SEGA se retire du marché des consoles en 2001, c'est un geste certes déchirant mais qui lui permet surtout d'éviter la faillite et de continuer son histoire en développant des jeux pour les consoles de ses anciens concurrents. Si l'ouvrage se concentre sur la vision américaine de l'histoire de SEGA, le dernier chapitre du livre explique également l'histoire, plus complexe, du constructeur sur le marché Européen. Bien qu'un peu dense et parfois redondant entre certains chapitres, cet ouvrage riche en contenu est une véritable mine d'or pour toute personne s'interrogeant sur l'histoire de SEGA, une société populaire mais dont l'histoire est malheureusement moins étudiée que celle de son concurrent historique Nintendo.
C'est pourtant regrettable car la lecture de cet ouvrage nous montre en filigrane l'importance de SEGA dans l'histoire du jeu vidéo, en particulier aux Etats-Unis. C'est la première société a avoir réussi à détrôner la NES de Nintendo sur le continent américain, et SEGA aurait tout à fait pu conserver son avance si ses choix stratégiques avaient été différents. Le problème de SEGA est que la tête de l'entreprise se trouve au Japon, où le succès de ses consoles sera toujours en décalage avec les Etats-Unis et l'Europe. Alors que la Mega Drive / Genesis connait un succès confidentiel au Japon, elle fait un carton en Europe et aux Etats-Unis. Si le Mega CD était une erreur qu'un nouveau succès aurait pu éponger, SEGA gère particulièrement mal le passage à la génération 32-bits. Partagé entre un SEGA Japan qui veut jeter la Mega Drive pour mettre le paquet avec une Saturn radicalement différente, et un SEGA of America qui travaille sur un projet d'évolution 32 bits de sa console phare, le constructeur ne tranche pas, et mène deux projets contradictoires à la fois. La suite est connue : le 32X fait un four car aucun développeur ou consommateur n'est assez bête pour investir dans un périphérique dont le remplacement est annoncé dès sa sortie commerciale.
Ironie de l'histoire, la Saturn marche plutôt bien au Japon, alors qu'elle se fait distancer par la Playstation aux USA et en Europe, en partie grâce à la gestion catastrophique de son lancement par un SEGA bicéphale. L'histoire veut également que SEGA ait à l'origine envisagé de faire de la Saturn avant tout une console "2D", et que le fait de muscler la partie "3D" de la console en réaction au projet de Sony abouti à une console à l'architecture complexe qui la rend "difficile à programmer". Pourtant ce choix technique de SEGA Japan n'était pas la seule voie possible. Anecdote intéressante donné par ce livre, SEGA of America serait allé trouver la société Silicon Graphics, à l'origine du processeur de la Playstation. L'entreprise aurait commencée à travailler sur un autre processeur de console pour le compte de SEGA of America, qui était bien plus simple à programmer que la solution du "double processeur" du projet japonais. L'antenne japonaise du constructeur préféra malheureusement maintenir son choix, qui fera fuir nombre de développeurs tiers. De son coté, Silicon Graphics vendra finalement son processeur à Nintendo pour sa Nintendo 64, qui malgré un lancement tardif se vendra mieux que la Saturn au niveau mondial.
Mais la note la plus dramatique de l'histoire de SEGA vient sans doute de son dernier volet. Après un vaste jeu de chaise musicale du à une situation financière catastrophique (ainsi qu'une fusion ratée avec Bandai), SEGA semble enfin avoir appris de ses erreurs. Même si la concurrence Japon/USA persiste au sein du constructeur (chaque branche propose un projet différent de console, les japonais avec un processeur graphique PowerVR, les américains avec 3DFX), la Dreamcast s'annonce comme une excellente console. Simple à programmer, notamment grâce à un rapprochement avec Microsoft qui équipe la console d'une version allégée de Windows, elle séduit les développeurs tiers qui annoncent de nombreux titres de qualité. Mais lancer une console coûte de plus en plus cher, surtout avec la concurrence d'une Playstation 2 qui s'annonce presque "magique" si l'on écoute Sony. Les finances de SEGA sont telles que la partie est jouée d'avance, et malgré un bon produit, la société n'arrive pas à combler le trou béant dans ses finances laissés par ses échecs cumulés...
Au final, après avoir réussi à attaquer le monopole de Nintendo, SEGA trébuchera et aidera à la fois Sony et surtout Microsoft à se lancer sur le marché de console de salon, avant de devoir s'en retirer faute d'être suffisamment bien gérée en interne pour faire face à une concurrence de plus en plus rude... SEGA, c'est peut-être "plus fort que toi", mais moins que le mur dans lequel ses dirigeants en perpétuel désaccord l'ont envoyé. Faut-il voir un signe de ce destin tragique dans le fait que la mascotte de SEGA est célèbre pour foncer tête baissée sans jamais se retourner ?