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Indie Game: The MovieDamien Djaouti | 20-06-2012 | 12:52

Indie Game: The Movie est un documentaire dédié aux jeux vidéo "indépendants". Autrement dit, des jeux vidéo realisés par des créateurs, solitaires ou en petit groupe, qui jouissent d'une liberté de création totale car ils ne sont pas soumis à des contraintes de rentabilité économique. Le film suit le quotidien des artistes à l'origines de deux jeux vidéo en particulier:

 

- Super Meat Boy, créé par Edmund McMillen (graphiste & game designer) et Tommy Refenes (programmeur & game designer)

 

- Fez, créé par Phil Fish (game designer & graphiste)

 

Le quotidien de ces deux équipes de créatifs est également agrémenté de quelques (trop) courtes interventions de Jonathan Blow, le créateur de Braid.

 

Indie Game: The Movie

 

 

Des artistes et des jeux

Tout au long des quelques 1h43 du film, nous partageons la vie du duo McMillen-Refenes et de Phil Fish lors d'une étape importante du processus de création de leur jeu. Le stress de la denière ligne droite pour les créateurs de Super Meat Boy, et l'angoisse de la présentation au public lors d'un salon pour celui de Fez. Alors qu'ils sont proches de la fin du développement de leur jeu, les réalisateurs du film amènent ces artistes à nous faire partager leur vision des choses, ainsi qu'à nous raconter la manière dont ils vivent la création vidéoludique indépendante.

 

Ce qu'il ressort avant tout de ce film est que la création d'un jeu vidéo "en indépendant" est une aventure personnelle. Comme le résume parfaitement Tommy Refenes, le fait d'être indépendant lui permet de faire le jeu qui lui plait, et "tant pis si personne d'autre que moi ne l'aime". Pourtant, son compère Edmund McMillen nous explique qu'à travers ses jeux, il cherche avant tout à communiquer avec les gens, à s'exprimer, mais "pas directement en discutant avec les gens, car je n'ai pas envie de leur parler. Mais indirectement, à travers un jeu qui leur ferai partager mes émotions". Bien que son jeu Braid soit déjà sorti depuis quelques années, avec l'immense succès qu'on lui connait, Jonathan Blow rejoint ses collègues sur le fait qu'un jeu vidéo indépendant est avant tout l'oeuvre d'un artiste, qui "ne cherche pas à lisser son oeuvre pour qu'elle rencontre un immense succès commercial, mais qui se projette tout entier à travers sa création, avec ses qualités et ses faiblesses". Ainsi, Edmund McMillen, depuis ses premiers jeux, cherche à exprimer un univers personnel qui l'anime depuis l'enfance. Si la noirceur de son univers lui à apparement valu quelques soucis étant petit (son institutrice ayant conseillé à ses parents de l'amener chez le psychologue après avoir vu ses dessins), il a aujourd'hui l'opportunité de communiquer avec de nombreuses personnes qui apprécient véritablement son côté sombre.

 

Pour autant, cette communication artistique à travers le jeu n'est pas toujours évidente. Jonathan Blow nous raconte d'ailleurs sa relative déception lorsqu'il réalisé que de nombreux joueurs étaient passé à coté du message de Braid. Ces derniers n'y ont vu qu'un "petit jeu de plateforme rigolo où on peut remonter le temps", alors qu'il repose sur une trame à plusieurs niveau de lectures. Les différentes énigmes, reposant sur un jeu avec le temps, renvoient finalement à une thématique plus profonde à travers l'histoire d'un homme qui "recherche sa princesse". Mais ladite princesse n'a rien de la classique princesse-en-détresse : elle se rélève être la quête obsessionnelle d'une découverte scientifique dont le monde se serait bien passé... Je ne dévoilerais pas plus l'intrigue de ce jeu, car sa découverte est ce qui le rend particulièrement riche et profond. Mais dans le documentaire, son créateur du jeu, vidéos à l'appui, nous montre que nombreux joueurs n'ont pas réussi à comprendre son message. Ces derniers sont restés au niveau de lecture le plus superficiel du "plaisir de la résolution d'énigmes" sans se poser la question du "pourquoi?".

 

Loin d'être limité au jeu vidéo, la question de la communication de messages à travers une création artistique (peinture, film, livre, bande dessinée...) est une thématique qui occupe les artistes depuis longtemps. En allant chercher les créateurs de jeu pour leur donner la parole, ce film montre finalement à quel point le jeu vidéo est un objet culturel et artistique au même titre que les autres.

 

Faut-il regarder ce film ?

Sachant cela, on peut alors se demander à qui s'addresse finalement ce film. De prime abord, on pourrait croire qu'il vise les seuls créateurs de jeux indépendants. Mais après visionnage, je dirais qu'au contraire ce film s'addresse à tout le monde, sauf aux créateurs de jeux indépendants. J'en veux pour preuve les torrents de haine déversés sur ce film dans un des sites piliers de la communauté de créateurs de jeux indépendants, TIGSource.

 

La principale critique de la communauté des game designers indépendants ne s'addresse pas tant au film qu'à ses sujets. Si, d'une part, les membres de cette communauté ne découvrent pas grand chose dans ce documentaire car il ont déjà fait l'expérience de la création vidéoludique indépendante, nombreux sont avant tout mécontents du choix des créateurs qui ont été interviewés. En effet, les réalisateurs du film ont interviewés, durant deux ans, un grand nombre de créateurs indépendants de jeux vidéo. Si leur idée initiale était de réaliser un documentaire montrant de nombreuses figures du milieu, au final leur choix s'est uniquement focalisé sur deux jeux en cours de réalisation lors du tournage. Ces deux jeux ont finalement rencontré un énorme succès commercial, et les quelques commentaires supplémentaires proviennent d'un créateur ayant également connu un succès commercial. Nombreux sont donc ceux qui critiquent le choix d'avoir créé un film dont le titre laisse supposer qu'il traite des jeux vidéo indépendants en général, alors qu'au final il ne met en avant que quatre créateurs ayant rencontré le succès, oubliant les nombreux créateurs restés dans l'ombre. En ce qui concerne les critiques sur le choix de Jonathan Blow et de McMillen et Refenes, on peut penser qu'il s'agit avant tout de jalousie mal placé. Le cas est plus compliqué pour Phil Fish, dont la présence dans ce film est la plus critiquée. Il faut savoir que Fez a bénéficié d'une énorme couverture médiatique au sein de la communauté car il a remporté un prix au prestigieux "Independant Games Festival" en 2010, alors que le jeu ne sortira finalement qu'en 2012. Si l'on y ajoute le comportement assez "spécial" de son créateur (qui a eu le malheur de répondre de manière assez "colorée" à des critiques le concernant via Twitter), nombreux sont ceux qui ont pris pour pretexte la présence de Phil Fish pour descendre en flamme le film tout entier. Pourtant, même si la manière de communiquer sur Internet de Fish est effectivement peu cavalière, je trouve que dans le film il n'a rien du "connard prétentieux" que sa réputation sur Internet laisse entendre. Au contraire, on découvre qu'il est un artiste obsessionnel, enfermé dans une spirale infernale de quête de la perfection qui l'a déjà amené à recommencer trois fois le développement de son jeu. Artiste profondément engagé dans son oeuvre, il confie même à la caméra qu'il "se tuera s'il n'arrive pas à terminer son jeu", sur lequel il travaille depuis déjà 4 ans.

 

Quoiqu'il en soit, si vous êtres un créateur de jeu indépendant jaloux de Phil Fish, alors ce film n'est clairement pas pour vous. Dans tous les autres cas, je pense que vous avez tout intérêt à le regarder. Que vous soyez un joueur qui souhaite découvrir que son loisir favori est bien plus qu'un "bête divertissement", un érudit qui demande à être convaincu du statut artistique du jeu vidéo, un créateur de jeu qui souhaite voir "qu'il n'est pas seul", ou même un simple curieux qui ne connait pas grand chose au jeu vidéo et qui a envie de partager une courte tranche de vie de gens profondément passionants, alors ce film est fait pour vous.

 

 

Etant moi-même créateur de jeux vidéo à l'occasion, j'ai personnellement été très touché par ce film. Les quatres créateurs à qui le documentaire donne la parole sont tous des gens passionnants, autant par leur parcours que par leurs réalisations. Leurs différences nous font montrent que chaque artiste est unique, mais pourtant les épreuves du processus créatifs qu'ils traversent chacun de leur coté sont profondément similaires. Un autre de leur point commun est la passion qui les anime, au point qu'ils aient fait choix de se consacrer uniquement à la création de jeu en toute indépendance créative, et donc sans garantie de succès commercial. S'ils sont aujourd'hui récompensés par un succès critique et commercial, les quatres artistes présentés dans le film récoltent les fruits d'un pari qui était plus que risqué : avoir confiance en leur art. Plutôt que de les jalouser, j'aurais plutôt tendance à les admirer, d'autant plus que leurs oeuvres me parlent personnellement.

 

Braid
Braid

Je me souviens encore de Braid, que j'ai terminé il y à déjà trois ans. Au départ, je n'y voyais qu'un "bon jeu", à l'univers envoutant et aux puzzles particulièrement engageants. Mais au fur et mesure que j'approchais de la fin du jeu, ce qui n'était qu'un simple plaisir ludique s'est mué en une expérience transcendante. Durant toute la partie, vous collectez des bribes d'histoires, qui prennent un tout autre sens à la fin du jeu. Le jeu vous laisse alors une impression de "'woaw" particulièrement durable un fois que vous l'avez terminé. Peu de jeux, livres ou films sont arrivés à me toucher à ce point.

 

Le simple fait de voir un génie comme Jonathan Blow s'exprimer rend donc déjà ce film passionnant à mes yeux. D'autant plus que Blow, par sa diction, dégage un impression de calme propice à la réflexion et à l'écoute. C'est d'ailleurs une des forces de ce film, à la photographie très belle et à la musique discrète : le rythme contemplatif qu'il impose sert grandement le propos des artistes. On arrive même à éprouver une forte empathie avec ces game designers, au point qu'on partage tour à tour la dépression de Refenes, l'angoisse de Fish ou la zenitude de Blow. Et c'est en cela que je pense que le film réussi sa mission : il ne s'addresse pas qu'au seul passionné de jeu vidéo. S'il parle effectivement de jeu vidéo, le film est réalisé de manière à créer un lien entre le spectateur et les protagonistes, et constitue donc une expérience cinématographique à même d'intéresser tout-un-chacun.

 

Voir le film

Indie Game: The Movie étant un film indépendant, il ne passera malheureusement pas au cinéma. Mais cela ne vous empêchera en rien de le voir, puisqu'il est possible de l'acheter pour seulement 9.99$ sur son site officiel, dans une version sans DRM, avec le choix des formats (HD ou non...) et surtout avec des sous-titres dans plusieurs langues (dont le français !). Le film est également disponible à l'achat sur Steam, sous forme d'une application contenant le film et quelques bonus. Et pour ceux qui auront la chance de se trouver en région parisienne les 29 et 30 juin, le film y sera projeté à la Gaité Lyrique.


Catégorie : Réflexions, | Mots-clés : jeu vidéo indépendant, art, documentaire,
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