La première fois que j'ai entendu parler de l'Histoire de Mario, écrit par William Audureau aux éditions Pix N'Love, j'avoue n'avoir été que peu emballé. Encore un ouvrage sur Mario me disais-je ? Franchement, quelles sont les informations historiques sur la célèbre mascotte qui n'ont pas déjà été publiées, que ce soit sur Internet ou sur papier ? Et pourtant, ma curiosité fut piquée lorsque j'ai appris qu'il s'agissait d'un ouvrage de 420 pages, sans images. Cet ouvrage ne serait-il donc pas une bête compilation illustrée des principaux titres de Mario, ni un recueil d'anecdotes éventées ?
Sous-titré, "1981-1991 - L'acension d'une icône, entre mythes et réalité", ce livre est en fait une des plus passionnantes analyse de la génèse de Mario qu'il m'ait été donnée de lire ! Adoptant une véritable démarche d'analyse scientifique (lecture et analyse de références de manière à construire et démontrer une hypothèse), ce livre apporte enfin à une question fondamentale, jusque là restée en suspens :
Si aujourd'hui, plus personne ne s'étonne de voir un plombier en salopette rouge écraser des champignons géants dans un univers rempli de tuyaux, pourquoi Nintendo a t'il choisit un tel personnage pour mascotte ? Contrairement à ce que l'on pourrait croire à lire des interviews récentes de Shigeru Miyamoto, il ne s'agit en rien d'un choix naturel, prémédité et anticipé. Pour autant, il ne s'agit pas non plus du fruit du hasard. Tel que vous l'apprendrez en parcourant les pages de ce livre, la vérité est quelque part entre les deux.
Retournons au début des années 1980. Nintendo connait enfin le succès dans le mode des jeux vidéo d'arcade avec un certain Donkey Kong. Le gorille avait donc tout pour devenir la mascotte "naturelle" de la marque, bien que le président de la société, Hiroshi Yamauchi, soit visiblement opposé à l'idée de même d'utiliser une mascotte. A défaut d'être une mascotte officielle, le célèbre gorille était donc une figure populaire que Nintendo avait bien l'intention d'exploiter. Mais le studio de cinéma Universal ne l'entend de cette oreille : ce gorille n'est-il pas une pâle copie de leur célèbre personnage "King-kong", dont un remake vient justement de sortir dans les salles obscures ?
Avec une figure de proue temporairement indisponible pour cause d'ennui avec la justice, la publication de nouveaux titres mettant en avant Donkey Kong n'est donc pour l'instant plus envisageable. Si Nintendo gagnera finalement son procès contre Universal, entre-temps un autre personnage issu de ce même jeu lui ravira la vedette : le charpentier (ou plutôt menuiser comme nous l'apprend l'auteur) qui poursuit le gorille pour sauver sa dulcinée. Nombreux sont ceux qui connaissent l'anecdote sur l'attribution du nom "Mario" à ce personnage. Ceux-là vous diront qu'à l'origine il s’appelait "Jumpman", et que le nom de Mario lui a été donné par des employés de Nintendo USA, en référence à un certain Mario Segali, alors colérique propriétaire de leurs locaux. Et pourtant d'autres noms lui furent attribués auparavant. Quelques spécialistes vous évoqueront sans doute le nom de "Ossan", que l'on pourrait traduire par "le type". En plus de l'origine exacte de tous ces noms, ce riche ouvrage nous en révèle un quatrième des plus inattendus, et que l'on doit directement à Shigeru Miyamoto. Quel est ce mystérieux nom originellement envisagé par Miyamoto pour son personnage fétiche ? Pour le savoir il vous faudra lire la page 76 de l'Histoire de Mario !
Après avoir décortiqué la genèse du personnage, William Audureau nous invite à découvrir la passionnante histoire de l'invention du monde dans lequel il évolue. C'est là qu'on découvrira par exemple que, contrairement à la croyance populaire, Shigeru Miyamoto n'est pas un créateur tout puissant qui à réussit à inventer le chef d'oeuvre qu'est Super Mario Bros. à lui tout seul. Au delà de l'influence non négligeable de son maître à penser Gunpei Yokoi, le formidable richesse de ce titre et de son univers est également imputable au génie de Takashi Tezuka, alors jeune recrue de la société. La "dream team" est complétée par Koji Kondo, le musicien, et Toshihiko Nagako, le programmeur en chef. Ces jeunes créateurs débordant de talents développeront en parallèle deux titres qui deviendront majeurs : Super Mario Bros. et The Legend of Zelda. Sans la qualité de Super Mario Bros., Mario serait-il finalement devenu la figure de proue de Nintendo ? Cet ouvrage nous laisse à penser le contraire, en démontrant l'existence d'autres personnages au sein de la société, tout revenant avec moult détails sur la genèse de Super Mario Bros. En lisant le chapitre consacré à ce titre, j'ai eu l'impression d'être, pour un temps, au sein des locaux de Nintendo dans les années 1980. Au delà de la qualité de son analyse et de la fluidité de son style d'écriture, le travail de recherche menée par l'auteur est impressionnant, et prend tout son sens au fur et à mesure que l'on parcours les pages de cet ouvrage.
Les chapitres suivants continuent à nous présenter les aléas liés à la création des titres fondamentaux de la série : Super Mario Bros. 2, dont les versions japonaises et européennes n'ont rien à voir ; Super Mario Bros. 3, visiblement influé par la visite de l'équipe au parc d'attraction Disneyland ; sans oublier les contraintes liés à l'écran monochrome de la Gameboy pour Super Mario Land. L'ouvrage s'achève alors sur ce qui aurait du être la consécration du personnage : l'adaption cinématographique Super Mario Bros.. On y découvre une méthode de licensing inimaginable de nos jours, où Nintendo confie son personnage phare sans pour autant avoir un véritable droit de regard sur le film (ce qui explique bien chose quant au résultat final...).
Vous l'aurez compris, j'ai profondément adoré ce livre. Pour autant, j'aurai quand même quelques critiques à lui adresser. Si l'on excepte quelques petites coquilles, j'avoue avoir ressenti une ou deux longueurs lors du chapitre sur la genèse de Donkey Kong. En particulier lorsque l'auteur insiste, un poil trop souvent à mon gout, sur le fait qu'à l'époque Mario n'était pas la mascotte, mais qu'il s'agissait du gorille lanceur de barils. Mais peut-être cela est-il tout simplement du au fait qu'il s'agit d'une histoire que je connaissais déjà, ayant pu également savourer les trois tomes de l'Histoire de Nintendo par Florent Gorges. Et de toute façon, cela ne m'a nullement empêché de littéralement dévorer ce livre. Et c'est d'ailleurs là son principal défaut : la frustration que l'on ressent lorsqu'il s'achève. De par son talent d'écriture, l'auteur arrive à nous immerger dans l'histoire de ce personnage, il est donc logique qu'on ait envie de connaitre la suite de ses aventures... Alors, à quand le tome 2 ?
Pour résumer, cet ouvrage n'est pas une simple compilation d'évènements historiques liés au personnage de Mario. Il s'agit d'une analyse riche et documenté de sa genèse. Par écho, il nous propose donc une plongée dans les pratiques créatives de l'industrie du jeu vidéo des années 1980. En filigrane de cet ouvrage, on découvre la structuration de pratiques aujourd'hui courante telles que le licensing, la création d'univers propres (IP), ou encore les premiers liens entre l'industrie du jeu vidéo et du cinéma. Plus qu'un ouvrage dédié au fans, il s'agit à mes yeux d'un ouvrage incontournable pour la bibliothèque de toute personne s'intéressant un tant soit peu à l'histoire du jeu vidéo.
L'ouvrage étant de plus vendu à un prix accessible (22€ pour 420 pages noir et blanc bien remplies), j'invite tous ceux qui ne l'ont pas encore lu à faire un tour sur la boutique de son éditeur Pix N'Love.
Bonne lecture !