Jeu de Senet - Image : Wikipédia
Aujourd’hui le jeu fait partie de notre quotidien : compétitions e-sport, tournois de jeux de société, jeux vidéo, émissions de jeux télévisés, escape games, murder parties...
Face à toutes ces manifestations ludiques, on peut se questionner sur l’engouement suscité par le jeu. A quoi est-ce lié ? Est-ce une activité qui sert à nous divertir uniquement ou bien peut-on y voir la réponse à un besoin plus profond, plus vital ?
Pour tenter d’y répondre, commençons d’abord par définir le jeu.
D'après le dictionnaire LAROUSSE, le mot « jeu » signifie : « Activité d'ordre physique ou mental, non imposée, ne visant à aucune fin utilitaire, et à laquelle on s'adonne pour se divertir, en tirer un plaisir. »
Est-ce-que le jeu est réellement dénué de visées utilitaires ?
Nous allons émettre l’hypothèse que le jeu répond par nature à des visées utilitaires. C’est ce que nous allons essayer d’étudier. Pour ce faire, nous proposons d’explorer les débuts même du jeu dans différentes civilisations antiques Egypte, Maya, Grèce, Afrique, Chine… L’idée est ainsi d’étudier si ces jeux servaient à l’origine à du seul divertissement ou à des besoins utilitaires. En parallèle, cette exploration historique pourrait peut-être nous permettre de comprendre pourquoi le jeu occupe dans notre société actuelle autant de place.
Il y a un jeu qui représente très bien l’Egypte Antique, il se nomme le Senet. C’est le jeu de table et de parcours le plus pratiqué par les anciens Égyptiens du Nouvel Empire (1500 à 1000 av. J.-C) et des époques qui suivirent. C’est un jeu d’adversité, mais les règles ne sont pas bien connues.
Selon les derniers hiéroglyphes, le Senet aurait été créé en -3100 av J.-C et serait le plus vieux jeu découvert. Le Senet va subir une évolution en Egypte Antique qui va lui donner un caractère religieux (funéraire). On le retrouve également comme étant un objet d’offrande diplomatique. Cependant, il ne s’agit pas là, d’un caractère proprement utilitaire en lien avec le jeu lui-même. Le Senet avait cependant une signification religieuse très importante pour les Egyptiens du nouvel empire. C’est pour cela qu’on le retrouve dans les tombes de certains pharaons dont Toutankhamon (1354-1346 av J.-C)
Jeu de Senet - Source : Famille Prevot
Le jeu de balle est un sport rituel qui a été pratiqué pendant plus de 3000 ans par les peuples Précolombiens de la Mésoamérique.
Apparu durant le IIe millénaire av. J.-C., le jeu de balle connait son apogée chez les Mayas de 900 à 1200. Il se pratiquait avec une petite balle en caoutchouc entre deux équipes (de 1 à 12 joueurs) sur un terrain généralement en forme de H. Quelques récits présentent des joueurs se renvoyant la balle à coup de hanches ou de genoux, s'interdisant de la toucher avec les mains et les pieds. D'autres illustrations montrent des joueurs munis de bâtons. Le jeu fut ensuite repris par les Aztèques. C'est cette version que découvrirent les conquistadors espagnols (1519). Des variantes de ce sport sont encore pratiquées de nos jours dans le nord-ouest du Mexique.
Le jeu de balle était pratiqué par tous : certaines cités importantes, ont eu jusqu’à treize terrains. L’empereur aztèque Moctezuma (1466 -1520) exige des cités de la côte du golfe du Mexique le paiement d’un tribut annuel de 16 000 balles en caoutchouc, ce qui prouve bien que le jeu était pratiqué très régulièrement par une grande partie de la population.
Lorsqu’il était pratiqué comme un sport, le jeu de balle n’était qu’un simple entraînement alors qu'habituellement ce jeu faisait partie d'un rituel qui était parfois accompagné de sacrifices humains.
Jeu de balle - Image : Wikipédia
Les Grecs de l’époque Antique vont réutiliser des jeux provenant d'Egypte et les enrichir en apportant des fonctions utilitaires. Ainsi, les Osselets, dont on a retrouvé des exemplaires dans plusieurs colonies grecques, sont utilisés par Socrate comme exemple pour faire de la rhétorique avec Théétète (disciple). Sa fonction utilitaire est plutôt l’art d’argumenter et il est aussi utilisé pour des besoins statistiques.
Tout comme pour le jeu de la balle chez les Mayas, on recense également chez les Grecs les jeux panhelléniques (olympiques, pythique, isthmique et néméen) formant une boucle entre plusieurs cités grecques (Olympie, Delphes, Corinthe et Argos) et qui ont un caractère religieux.
Jeu des osselets - Image : Wikipédia
L’Awalé est le jeu le plus représentatif de l’Afrique et le plus répandu de la famille « Mancala » en Arabe ou « Semaille » en Africain. L’Awalé est aussi surnommé le "jeu d’échec africain".
Le jeu se compose de graines et d’un plateau de 12 creusets. 2 joueurs s'affrontent. On joue à tour de rôle. D’après le site l'artisan africain les règles sont les suivantes : « Pour jouer un coup, le joueur prend toutes les graines de l’une des cases de son camp et les distribue une par une, dans les trous suivants du moncale selon un enchaînement circulaire, en suivant le sens inverse des aiguilles d’une montre. Si le nombre de graines est tel que le semis repasse par la case où elles ont été prises, le joueur saute cette case sans rien mettre dedans. »
Les vestiges archéologiques permettent de dater ce jeu du IV ème Siècle ap J-C si l’on se réfère au plus vieil exemplaire retrouvé. Il provenait d’une forteresse romaine à Abur sha’ar située en Egypte.
On retrouve également ce jeu dans certaines régions du monde tel que l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie du sud, l’Asie centrale et des zones d’Amérique où a sévi l’esclavage : Caraïbe, Cuba, région du Salvador au Brésil…
D’après le livre «Jeux de l'humanité 5000 ans d'histoire culturelle des jeux de société», ce jeu sert à donner des notions décisionnelles et intellectuelles qui derrière le divertissement sert à apprendre aux enfants à compter.
Jeu de l'Awalé - Image : Wikipédia
Le jeu de Go était très populaire en 25 ap J.-C. Ce jeu est ensuite exporté en Corée et au Japon, essentiellement dans les milieux intellectuels et religieux. Il restera fermé au monde européen (Marco Polo n’évoque pas le jeu de Go dans ses notes de voyage pour des raisons inconnu). Il apparaîtra au XVII ème siècle en occident avec le commerce néerlandais. Ce qui va faire son succès tient autant à la facilité de ses règles qu’à ses multiples combinaisons possibles de jeu et à sa profondeur stratégique.
Pour le jeu de Go, nous trouvons également une dimension utilitaire si nous nous référons à la thèse de L.Timbal-Duclaux. Il nous explique : « On peut ainsi considérer le go, soit comme un modèle ludique et didactique de la tradition de la stratégie militaire chinoise, soit à l’inverse, la stratégie exposée par Sun-Tse comme une réflexion mise en forme à partir du jeu de go ».
Jeu de go - Image : Wikipédia
On retrouve des traces de dispositifs de jeu depuis très longtemps (au moins 3000 ans av J-C). Le jeu se retrouve sous des formes diverses dans différentes civilisations. Mais ces jeux avaient-ils un but utilitaires ou non ?
Notre recherche historique nous amène à penser que les jeux antiques présentés ont tous un lien plus ou moins fort avec des aspects utilitaires, et ce, dans différentes zones géographiques. Chez les Mayas, chez les Egyptiens et chez les Grecs, les jeux sont reliés à des aspects religieux : jeu de la balle, Senet et jeux panhelléniques.
On retrouve ensuite, une dimension éducative avec le jeu des Osselets ou le jeu de l’Awalé en Afrique.
Pour le jeu du Senet, les règles ne sont pas bien connues. Cependant, une dimension stratégique est décelée. Ainsi tout comme le jeu de Go, on peut penser que cela pourrait être utilisé à des fins militaires pour développer le sens tactique et la logique.
Nous notons que les champs d'application de ces jeux Antiques sont en lien avec le domaine religieux, militaire ou l'éducation. Cela s'écarte du seul divertissement. Ces domaines sont des piliers de nos sociétés actuelles. L'association avec le jeu et ces domaines nous questionne et constitue peut-être une piste à explorer pour étudier pourquoi le jeu est tant diffusé de nos jours ?
Nous pouvons également noter que dans les jeux étudiés, la fonction utilitaire peut précéder l’aspect de divertissement. Comme le jeu de Go qui va chercher à relater des stratégies militaires chinoises avant de devenir le jeu de divertissement que nous connaissons de nos jours. C'est comme si le jeu se construisait parfois autour d'une dimension utilitaire.
Ainsi, les jeux historiques que nous avons étudié semblent présenter des caractéristiques utilitaires autant que ludiques.
De fait, la définition du jeu communément donnée (définition du Larousse) qui définit le jeu comme uniquement divertissant ne semble pas totalement fondé au regard de notre recherche.
Au regard de ces différentes constatations, nous proposons de revoir la définition du jeu proposée par le dictionnaire LAROUSSE, en proposant la déclinaison suivante :
« Activité d'ordre physique ou mental, non imposée, qui peut être utilisée à des fins de divertissement et potentiellement utilitaire, à laquelle on s'adonne pour en tirer un plaisir. Pour autant, le jeu peut s’inscrire dans des contextes s’écartant du seul divertissement comme la religion, l'armée ou l’éducation par exemple. »
Jeu de Go :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Go_(jeu)
Jeu de l'Awalé :
http://www.lecomptoirdesjeux.com/l-awale.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Awal%C3%A9
Jeu de balle Maya :
https://mexique-decouverte.com/le-jeu-de-balle-maya/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_de_balle_(M%C3%A9soam%C3%A9rique)
https://www.mexique-voyages.com/histoire/les-mayas/jeu-de-pelote.php
Jeu des Osselets :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Osselets_(jeu)
Jeu de Senet :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Senet
Musée du jeu de Lausanne :
Ulrich Shadler, Jeux de l'humanité : 5000 ans d'histoire culturelle des jeux de société, 2008, Slatkine
Jouer dans l’Antiquité, catalogue de l’exposition à Marseille 1991/1992
Timothy Kendall, Passing through the Netherworld. The Meaning and Play of Senet, an Ancient Egyptian Funerary Game (1978)
Peter A. Picione, The Egyptian Game of Senet and the Migration of the Soul, in: Irving L. Finkel (editor), Ancient Board Games in Perspective, London, British Museum Press 2007, pp. 54-63
Louis Timbal-Duclaux, Une stratégie d'écriture inspirée du jeu de Go, Communication et langages, 1985, Vol. 64, numéro 1, pp.18-32,
http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1985_num_64_1_1688